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Il y a quelques jours, je me suis
procuré le numéro d'été du magazine Citizen K.
A l'intérieur, beaucoup de réclames
de marques luxueuses, des pages entières consacrée à la mode et
aux produits cosmétiques féminins et masculins qui nécessitent trois mois entier de salaire pour se les payer.
Mais au-delà de tout ce luxe
abondamment exhibé, se trouvent des articles fort intéressant (et
bien écrit) comme celui-ci, par le journaliste Mathieu Debureaux :
l'histoire du slogan soixante-huitard le plus connu, « le plus
poétique » selon la revue. Sous les pavés, la plage.
Rappelons que les slogans lancés (tels
des pavés) durant les manifestations de mai-juin 1968 en France ont
une carrure philosophique, idéologiquement proches des mouvements
surréaliste et du dadaïsme.
Deux Bernard sont à l'origine de cette
« maïeutique de mai » : Bernard Fritsch, 28 ans,
l'associé du patron d'Internote Service (Jean-Pierre Voyer), petite
agence de publicité parisienne, et Bernard Cousin, 25 ans, étudiant
en médecine. Ce dernier entre dans l'agence pour financer ses
études.
photo tirée de l'article de M. Debureaux
Bernard Fritsch, appelé Killian,
souhaite en finir avec la société de classes et pour cela tente de
créer une mouvance révolutionnaire situationniste.
Un soir, au café La Chope (actuel café
Delmas), place de la Contrescarpe, à Paris, Killian propose à
Bernard Cousin de concevoir un slogan : « Il me jugeait
[...] digne de renverser le pouvoir bourgeois […]
Killian avait une grosse tête trapue et ça ne devait pas être
facile pour lui de draguer, alors il pensait que cela allait mieux se
passer en faisant la révolution. »
Les premiers slogans sont inscrit sur
les murs de la capitale, tels que « Je ne sais pas quoi
dire, mais j'en ai envie. » ou « chantage au
bonheur ».
B. Cousin : « Je n'étais
pas révolutionnaire du tout, mais si on ne disait pas « Camarade »
à son voisin, on était un fasciste ! J'étais dans la ville
assiégée, il fallait bien faire quelque chose. »
L'accouchement d'un slogan s'avère
laborieux. Mais Bernard Cousin finit par lâcher : « il y
a de l'herbe sous les pavés », en référant à une image d'un
conte de Grimm. L'idée de l'herbe est cependant associée au hasch.
« L'idée de la plage est
venue assez naturellement car ils étaient posés sur un lit de
sable... » De plus, la plage renvoie alors à l'essor
fulgurant du Club Méditerranée. L'image est donc plus sympathique
que celle du hasch...
« Il y a la plage sous les
pavés » est la première phase du slogan. Sur la table de
chevet de Bernard Cousin, se trouve D'un château l'autre
de Louis-Ferdinand Céline. C'est ce livre qui va bousculer la forme
du slogan et faire naître : « Sous les pavés, la
plage. »
« Nous sommes immédiatement
sortis [Killian et B. Cousin],
et en peu de temps, entre la Contrescarpe et la rue Bonaparte,
Killian avait déjà inscrit le slogan quatre ou cinq fois. »
Puis plus d'une centaine de fois dans la capitale.
Bernard Cousin avoue aujourd'hui qu'il
étais plus « dans la défense passive que dans l'attaque. »
En septembre 1968, Bernard Cousin
reprend le chemin de la fac de médecine : « A cette
époque, les mandarins n'étaient pas des marrants. On devait passer
les oraux en cravate, alors pour ne pas ruiner mes chances, j'ai
toujours fermé ma gueule sur l'origine du slogan. »
Killian, quant à lui, s'attribue à
tout bout de champ la paternité de se slogan : « Je ne
l'ai jamais contredit. De plus en plus désespéré […], il vivait
dans la désillusion morne de ceux qui ont trop cru en 68. Désabusé,
il se raccrochait à l'idée d'avoir écrit le graffiti le plus
connu. »
Aujourd'hui, le slogan est entré dans
le domaine public. Et d'autres s'en sont attribué la paternité, tel
que l'écrivain Jean-Edern Hallier, en 1982, dans Bréviaire
pour une jeunesse déracinée
(Albin
Michel), qui écrit : « Ce mot d'ordre
que j'inventai au tableau noir du grand amphithéâtre Richelieu, à
la Sorbonne, en mai 1968 : Sous les pavés, la
plage... »
Précipitez-vous sur le témoignage de
Bernard Cousin, je vous garantie qu'il est excellent ! De plus,
Citizen K ne coûte qu'un euros ! (paradoxe des pages de pub
Elie Saab et Ralph Laurens). Vous trouverez également l'interview du
dernier amant de Christian Dior et un article consacré à une
exposition qui se déroule en ce moment au musée d'art de Dallas
retraçant les dernières heures de John F. Kennedy.
A lire:
Bernard COUSIN
Pourquoi j'ai écrit: sous les pavés, la plage
Edition Rive Droite
(7 euros)
LN