Le pourquoi du comment

Mémoires d'une jeunesse trop souvent oubliée !
Comprendre cette décade ne passe pas en premier lieu par les journaux, trop souvent mensongés ou trop selectifs, mais bien par les acteurs épargnés injustement.
Loin de moi l'idée de vouloir me montrer comme pourfendeur de quelque cause que ce soit: je souhaite vous donner à lire des témoignages vrais, parfois touchant de sexagénaires ou septuagénaires encore jeunes et fringants.

jeudi 25 juillet 2013

Un pavé lancé dans le sable

parisenimage.fr   (c) Roger-Viollet

Il y a quelques jours, je me suis procuré le numéro d'été du magazine Citizen K.

A l'intérieur, beaucoup de réclames de marques luxueuses, des pages entières consacrée à la mode et aux produits cosmétiques féminins et masculins qui nécessitent trois mois entier de salaire pour se les payer.
Mais au-delà de tout ce luxe abondamment exhibé, se trouvent des articles fort intéressant (et bien écrit) comme celui-ci, par le journaliste Mathieu Debureaux : l'histoire du slogan soixante-huitard le plus connu, « le plus poétique » selon la revue. Sous les pavés, la plage.
Rappelons que les slogans lancés (tels des pavés) durant les manifestations de mai-juin 1968 en France ont une carrure philosophique, idéologiquement proches des mouvements surréaliste et du dadaïsme.
Deux Bernard sont à l'origine de cette « maïeutique de mai » : Bernard Fritsch, 28 ans, l'associé du patron d'Internote Service (Jean-Pierre Voyer), petite agence de publicité parisienne, et Bernard Cousin, 25 ans, étudiant en médecine. Ce dernier entre dans l'agence pour financer ses études.

photo tirée de l'article de M. Debureaux
 
Bernard Fritsch, appelé Killian, souhaite en finir avec la société de classes et pour cela tente de créer une mouvance révolutionnaire situationniste.
Un soir, au café La Chope (actuel café Delmas), place de la Contrescarpe, à Paris, Killian propose à Bernard Cousin de concevoir un slogan : « Il me jugeait [...] digne de renverser le pouvoir bourgeois […] Killian avait une grosse tête trapue et ça ne devait pas être facile pour lui de draguer, alors il pensait que cela allait mieux se passer en faisant la révolution. »
Les premiers slogans sont inscrit sur les murs de la capitale, tels que « Je ne sais pas quoi dire, mais j'en ai envie. » ou « chantage au bonheur ».
B. Cousin : « Je n'étais pas révolutionnaire du tout, mais si on ne disait pas « Camarade » à son voisin, on était un fasciste ! J'étais dans la ville assiégée, il fallait bien faire quelque chose. »
L'accouchement d'un slogan s'avère laborieux. Mais Bernard Cousin finit par lâcher : « il y a de l'herbe sous les pavés », en référant à une image d'un conte de Grimm. L'idée de l'herbe est cependant associée au hasch.
« L'idée de la plage est venue assez naturellement car ils étaient posés sur un lit de sable... » De plus, la plage renvoie alors à l'essor fulgurant du Club Méditerranée. L'image est donc plus sympathique que celle du hasch...
« Il y a la plage sous les pavés » est la première phase du slogan. Sur la table de chevet de Bernard Cousin, se trouve D'un château l'autre de Louis-Ferdinand Céline. C'est ce livre qui va bousculer la forme du slogan et faire naître : « Sous les pavés, la plage. »
«  Nous sommes immédiatement sortis [Killian et B. Cousin], et en peu de temps, entre la Contrescarpe et la rue Bonaparte, Killian avait déjà inscrit le slogan quatre ou cinq fois. » Puis plus d'une centaine de fois dans la capitale.
Bernard Cousin avoue aujourd'hui qu'il étais plus « dans la défense passive que dans l'attaque. »
En septembre 1968, Bernard Cousin reprend le chemin de la fac de médecine : « A cette époque, les mandarins n'étaient pas des marrants. On devait passer les oraux en cravate, alors pour ne pas ruiner mes chances, j'ai toujours fermé ma gueule sur l'origine du slogan. »
Killian, quant à lui, s'attribue à tout bout de champ la paternité de se slogan : « Je ne l'ai jamais contredit. De plus en plus désespéré […], il vivait dans la désillusion morne de ceux qui ont trop cru en 68. Désabusé, il se raccrochait à l'idée d'avoir écrit le graffiti le plus connu. »
Aujourd'hui, le slogan est entré dans le domaine public. Et d'autres s'en sont attribué la paternité, tel que l'écrivain Jean-Edern Hallier, en 1982, dans Bréviaire pour une jeunesse déracinée (Albin Michel), qui écrit : « Ce mot d'ordre que j'inventai au tableau noir du grand amphithéâtre Richelieu, à la Sorbonne, en mai 1968 : Sous les pavés, la plage... »
 
 
Précipitez-vous sur le témoignage de Bernard Cousin, je vous garantie qu'il est excellent ! De plus, Citizen K ne coûte qu'un euros ! (paradoxe des pages de pub Elie Saab et Ralph Laurens). Vous trouverez également l'interview du dernier amant de Christian Dior et un article consacré à une exposition qui se déroule en ce moment au musée d'art de Dallas retraçant les dernières heures de John F. Kennedy.
 
A lire:
 
Bernard COUSIN
Pourquoi j'ai écrit: sous les pavés, la plage
Edition Rive Droite
(7 euros)
 
 
 
 
 
 
LN